Les petits oiseaux pépiaient dans les arbres, s’appelant les uns et les autres pour savoir si un éventuel danger approchait. Le vent bruissait doucement dans les branches sèches et les lapins grignotaient leurs feuilles avec concentration, prêt à détaler au moindre bruit inquiétant.
CRAC !

-Atatatataaaaa !

Une main se figea brutalement sur le bois, secouant un arbre en tout sens pendant que bêtes à poils et à plumes se dispersaient à toute vitesse dans leur cachette privilégiée. La forme humaine tangua un instant, perchée tout en haut des branches, se stabilisa et attendit avec patience de constater qu’il ne risquait pas de s’écraser au sol. C’est bon, il allait pouvoir repartir.
L’elfe vérifia que son épaisse chevelure ne s’était pas prise dans les brindilles et défit avec patience les rares mèches qui s’y étaient entremêlées durant son saut afin de ne pas blesser son hôte. Satisfait, Rhys tendit tout son corps et du bout des doigts, attrapa une pomme bien mûre perchée au sommet :

-Je t’ai attrapé !

Le sourire aux lèvres, le jeune homme avança un peu plus sur les gros bras de l’arbre, puis s’arcbouta pour changer de végétal alors que l’activité de la forêt revenait progressivement. Il y eut un léger craquement, mais le garçon était déjà parti et commençait à prendre un petit rythme de croisière confortable, se baladant entre les branchages comme un petit singe fort habile. Il s’arrêtait de temps à autre, ramassait un fruit qui lui faisait de l’œil et le mettait dans sa besace pour plus tard. S’il y avait bien une chose que ses années de vagabondage lui avait appris, c’est qu’il était difficile de se nourrir lorsqu’on était blessé et il était souvent préférable d’avoir au moins un peu d’avance avant de s’éclater les chevilles.
Pourtant, bientôt, l’elfe s’arrêta. Du haut de son arme, il venait de faire une nouvelle découverte !
Ooooh ! Un enfant ! Il y avait un enfant juste en bas ?
L’homme se pencha silencieusement pour mieux voir ce que faisait l’inconnu. Il mangeait ? Il mangeait quoi ? Il se pencha un peu plus, puis un peu plus encore et un peu …
AAAAAAH !
L’elfe se fracassa au sol avec un énorme bruit, brisant sur son passage les quelques petites branches qui avaient eu le malheur de se trouver sur le chemin de sa chute :

-Outch !

Rhys se releva douloureusement et eut comme premier reflexe celui de ce tourner vers l’arbre :

-Pardon monsieur l’arbre ! Je suis désolé !

Et il tapota affectueusement l’écorce du tronc… avant de se souvenir qu’il y avait une présence non loin. Il se retourna donc et tomba sur un gros chien. Un gros gros chien. Ha non ! Un loup ! Rectification. Il fut un moment interloqué, puis enchanté :

-Un gros toutou ! Tu es trop beau ! Mais …

Où était le garçon ? De nouveau pris par surprise, l’elfe regarda autour de lui et tenta d’apercevoir où il avait fui. C’était impossible. L’animal était exactement à la place de …

-Oh !!! C’est toi ? Tu te transformes ?! C’est trop bien.

Et tout joyeux, il s’approcha de l’épaisse boule de poils.

Rhys stoppa immédiatement son geste. Il était idiot. Oui, mais il était aussi un elfe ! Or, qui disait elfe, disait individu un minimum capable de comprendre le comportement animal et il n’était guère conseillé de s’approcher de force d’un animal plus gros que vous qui n’en avait pas envie…
Pourtant le jeune homme n’abandonna pas et il préféra s’accroupir, laissant au loup tout le loisir de lui sauter dessus et lui arracher la gorge s’il en ressentait l’envie. Toutefois là encore, Rhys savait qu’il n’en serait rien.
C'était la peur qu’il lisait dans son regard, que lui criait son attitude. Le loup ne voulait pas le tuer, il voulait fuir !
Le vagabond adoucit son regard et modula sa voix d’une intonation grave et posée à laquelle il rajouta son soupçon de don pour communiquer plus aisément avec la nature et ses créatures :

-Hey bonhomme. Tout va bien, murmura-t-il presque, je ne te veux pas de mal. Je suis un ami. Tu vois ?

Et à geste lent, il défit son arme qu’il jeta au loin et posa son arc à ses côtés. A présent désarmé, le jeune s’assit en tailleurs et attendit patiemment de voir la réaction du louveteau :

-Je suis un elfe…bon j’ai eu quelques soucis donc je ne leur ressemble plus trop, mais je suis un ami et j’aimerai me trouver un nouvel ami.

Il laissa planer un moment de silence avant de reprendre :

-Tu voudrais être celui-là ?

Allez joli petit loup au pelage aussi épais que doux! Reste avec moi!

Rhys commença à sourire en voyant le loup se détendre. Ça y est, l’animal prenait confiance ! L’elfe ne bougea pourtant pas, continuant de murmurer d’une voix basse compréhensible par les bêtes … jusqu’à ce que la boule de poil redevienne humaine sous les yeux fascinés du jeune homme. Ses yeux clairs se mirent à briller. C’était trop cool !!! Wouha ! Il voulait faire la même chose !
Mais le garçon venait de lui répondre et de poser des questions à son tour. La politesse exigeait qu’il accède à ses demandes :

-Si, répondit-il d’un ton plus calme qu’il ne l’était en réalité. Je suis né avec des oreilles pointus, mais j’ai eu des problèmes avec mon clan alors j’ai du les quitter…et pour ne pas que je sois en danger ils m’ont coupé les oreilles.

Il n’était pas compliqué de s’apercevoir que l’elfe ne nourrissait aucune rancœur à leur encontre. Du point de vue Rhys, celui-ci avait été prévenu à maintes reprises et il était donc totalement responsable de sa condition. Une condition qui lui convenait d’ailleurs tout à fait puisqu’elle le laissait libre de tous mouvements et de toutes envies sans avoir à subir les foudres et les regards désapprobateurs de ceux avec qui il avait grandi. Etre banni lui permettait aussi de faire des rencontres parfois étranges, mais bien souvent fabuleuses comme c’était le cas à présent :

-Bien ! Les choses sont décidées alors ! Tu seras mon ami ! Je m’appelle Rhys et toi ?!

Et comme pour clore ce nouveau pacte, le louveteau lui tendit un morceau de viande. Ha…
L’elfe ne se départit pas de son sourire, mais secoua doucement la tête :

-Nous autres ne mangeons pas de viande. On pourrait certes, mais c’est un choix de vie. C’est pour ça que je viens de là haut, fit-il en désignant la cime des arbres, je cueillais des fruits ! Hoooooo !

Soudain ses yeux s’agrandirent d’effroi :

-J’espère que je ne les ai pas tous écrabouillés !

Et d’un pas vif il récupéra son sac pour en analyser le contenu. Il grimaça en sortant quelques prunes bouillies, mais constata toutefois avec soulagement que le reste était intact. Rhys se faisait pourtant peu d’illusions, avec le choc les aliments auraient tôt fait de noircir et devenir immangeable :

-Si tu en veux, sert-toi !s’exclama-t-il en plaçant sa besace entre eux deux.

L’elfe continua de sortir les fruits de sa cueillette devant lui et les tria en ordre, mettant d’un côté ceux que la chute n’avait pas trop atteint et ceux qu’il allait impérativement devoir manger très vite. D’un coup d’œil satisfait, il constata que le principal avait été sauvé et que sa récolte abimée ne constituait qu’un tout petit peu plus que ce qu’il mangeait habituellement :

-Je m’appelle Rhys, j’ai euh…

Il s’interrompit un instant, les yeux dans le vague et compta sur ses doigts en fronçant les sourcils. Il hésita un moment, secoua la tête et revint en arrière :

-21 ans, je crois ! Précisa-t-il en riant.

Et pour ponctuer sa phrase il croqua dans un fruit un peu trop juteux qui lui dégoulina sur le menton :

-Humpfr !

Surpris, le jeune homme eut ce mouvement typique d’avancement de visage et de recul de buste pour échapper aux tâches…mais s’essuya malgré tout le menton avec sa manche :

-Je me promène constamment en fait, je n’ai pas de maison. Enfin si ! Toutes les forêts du monde ! répondit-il finalement, je n’aime pas trop les villes. Les hommes y laissent trop peu de place à la nature.

Il haussa les épaules :

-Du coup j’ai peu d’amis, je croise peu de gens sur les routes et ceux qui me rencontrent me trouvent bizarre. Une fois il y en a même une qui a voulu me faire toucher une pierre bizarre et ça m’a fait drôlement mal !

Il s’arrêta de nouveau et recommença à réfléchir pour faire face à l’incompréhension qui le prenait :

-D’ailleurs il a fallut que je cours très vite après, parce qu’il a essayé de me tuer…

L’elfe secoua doucement la tête et reprit plus gaiment :

-Et toi ? Qu’ est-ce que tu fais dans le coin ? Demanda-t-il tout sourire.

Ho ? Rhys se mordit les lèvres. Avait-il fait une boulette ? Cela en avait tout l’air en tout cas ! Emotif à son tour, l’elfe devint tout aussi triste que le jeune garçon en face de lui. Peut-être aurait-il du lui dire que cela n’avait pas l’importance ? Que rien ne l’obligeait à lui répondre ? Mais en toute honnêteté, le vagabond n’y pensa pas et regarda le garçon comme deux ronds de flan : complètement perdu.
Il ne savait que faire, que dire sinon l’écouter. Peut-être que se confier lui ferait du bien ?
Ainsi le chiot commença-t-il son récit, mais bien vite Rhys douta que cela lui fasse vraiment du bien. A son grand désarroi, des larmes coulaient sur les joues du jeune homme sans qu’il n’y puisse rien. Interrompre le flot de parole maintenant aurait été soit terriblement mal poli, soit terriblement je m’en foutiste et le va-nu-pieds n’avait pas la moindre envie de blesser encore plus son nouveau son compagnon :

-Je suis désolé toi, murmura-t-il tristement en se rapprochant de lui, les miens m’ont prévenu que les humains ne seraient pas gentils avec les créatures magiques, mais … je ne pensais pas que cela pouvait aller si loin.

Comme le monde était cruel parfois. Pourquoi Mère nature ressentait-elle toujours le besoin de montrer à chacun que leur vie n’était rien et pouvait éclater d’un jour à l’autre comme une bulle de savon :

-Tu veux un câlin ?

Et sans vraiment prendre le temps d’attendre sa réponse, l’elfe prit le garçon dans ses bras et le posa contre son cœur tandis que le vent –léger – ébouriffait sa chevelure d’ébène comme pour envelopper encore un peu plus l’enfant.